Pour une torréfaction de café à la française.

Si le café est une plante endémique d’Ethiopie ou du Yémen – nous ne trancherons pas sur ce point aujourd’hui… ni demain – son long voyage autour du monde entrepris dès le XVeme siècle l’a conduit aux confins des 4 coins du monde pourvu qu’ils se trouvent entre les tropiques du Cancer et Capricorne : l’Afrique, l’Australie, l’Amérique et l’Asie. Et là il ne s’agit encore que des zones où il est produit : étendons ces zones à celles où il est consommé et nous pourrons dire que le café a conquis le monde entier.
L’un des intérêts de cette expansion est que le produit s’est acclimaté culturellement dans ses modes de consommation et de préparation. En Afrique, il est encore parfois utilisé comme une épice pour l’agrément de préparations culinaires, au Moyen Orient il est moulu très fin et bouilli avant d’être bu, en Amérique du Nord et dans les pays scandinaves il était plutôt consommé après avoir été filtré etc … Certains modes de préparation comme l’espresso dont la paternité revient incontestablement à l’Italie, se sont eux aussi exportés dans une histoire plus contemporaine provoquant à nouveau une acclimatation selon ses destinations. Doit-on s’en féliciter ?
Oui bien évidemment puisque cette expansion va en général de pair avec une meilleure connaissance d’un produit et rime le plus souvent avec progrès (investissements en R& D, amélioration des conditions d’exploitation, sanitaires etc ) à la nuance près des « dégâts collatéraux « qu’elle occasionne pour emprunter à une sémantique contemporaine et guerrière. Quels peuvent-ils être ?
Dans le domaine agricole, la R& D classique vise le plus souvent à croiser les espèces afin d’obtenir de meilleurs rendements et une meilleure résistance aux variations climatiques ainsi qu’aux insectes (essentiellement les scolytes pour le café). Cet axe de développement nuît à la conservation de la diversité des espèces et aussi d’une certaine manière norme le goût. C’est un phénomène dont chacun peut mesurer les conséquences à l’échelle de notre petit pays comme par exemple sur les fruits et légumes qui réapparaissent sur nos étals avec la mention » Fruits et légumes oubliés ». Souvent aux formes peu propices à la découpe voire rebutantes par un aspect pas assez » lisse », la chair trop ferme nécessitant des temps de cuisson plus longs … ils sont au goût bien souvent meilleurs et plus délicats. Initiative intéressante qui nous l’espérons ne demeurera pas un simple effet de mode.
Pour beaucoup de pays le plus souvent assez pauvres, le café (Coffea Arabica et Canephora) représente une part importante de leurs exportations. La tentation d’améliorer les rendements est donc forte mais on peut raisonnablement dire qu’à date, la diversité des espèces n’est pas menacée. Pour combien de temps ? Les pays producteurs jouent pour le moment la carte de la diversité des terroirs … cela demeure fragile. Il suffit que les marchés déprécient (ils agissent en fonction de la demande) une variété au profit d’une autre et beaucoup de bonnes intentions disparaissent.
Dans le domaine de la transformation, le péril est plus grand. Intéressons nous au marché français. Il faut bien entendu distinguer les torréfactions artisanales des industriels : leurs logiques d’approvisionnements ne sont pas les mêmes. Lors de l’envolée des cours des matières premières récentes (en 1997 art. Les Echos par exemple ou encore en 2010 cf ici ), les industriels ont principalement revu la qualité de leurs mélanges à la baisse afin de ne pas répercuter l’intégralité de la hausse à leurs consommateurs. Les artisans torréfacteurs n’ayant que rarement le cash flow suffisant pour couvrir leurs approvisionnements au-delà de 6 mois, ils ont d’une part rogné un temps sur leurs marges et finalement répercuté ces hausses petit à petit. Ces derniers sont les gardiens de la diversité des espèces, il en va de l’originalité de leur offre produit et donc de la pérennité de leur commerce. Aussi, au lendemain de l’après-guerre jusqu’ il y a une dizaine d’années, le secteur a subi de très grosses concentrations dans ce domaine donnant naissance à de très gros torréfacteurs régionaux (par exemple les Cafés Richard historiquement à Paris et sur la région parisienne, les Cafés Folliet à l’Est de la France ou encore les Cafés Malongo dans le Sud) … au détriment de la diversité de plus petits torréfacteurs.
La réussite de Nespresso, le succès de chaînes comme Starbucks ont eu comme bénéfices pour le consommateur de réaliser qu’il existait autre chose que du café moulu sous vide en 250 gr. En ce sens c’est un réel progrès qui, cumulé à d’autres phénomènes sociétaux (les slasheurs par exemple) a suscité depuis moins d’une dizaine d’année des vocations. En même temps que les coffee shop, de petites unités de torréfaction refleurissent donc dans nos villes avec des destins plus ou moins pérennes. Révolution ou épiphénomène, l’avenir nous le dira.
Accompagné par la presse et encouragé par quelques syndicats professionnels et quelques associations pour l’heure, ce mouvement progresse, se structure et s’organise. Le concept de Coffee Shop perpétue une tradition made in USA : on y boit du café préparé en espresso et/ou en filtre : ce dernier mode de préparation comptant plusieurs variations selon les matériels utilisés. ( Et il n’y a pas lieu de faire du prosélytisme en faveur de l’espresso, les différentes méthodes de filtration / infusion mettent en exergue parfois mieux toute la palette aromatique d’un café Vs un espresso dont l’extraction la concentre forcément. Aucune préparation n’est plus noble qu’une autre : tout comme n’importe quel autre produit, prenons le canard comme exemple, il peut être préparé au sang (à la Tour d’Argent dont c’est la spécialité) , laqué ou à l’orange sans qu’aucune de ces préparations ne puisse être comparée objectivement (si tant est que cela soit bien fait) : chaque préparation révélant le produit « canard » d’une façon différente.
Seulement voilà, si un torréfacteur livre un produit semi fini (la préparation du café pouvant parfaire une chaine d’excellence ou l’annihiler), il devrait aussi tenir compte dans la cuisson du café dont il est l’auteur, de la préparation à laquelle il est destiné. Il n’existe pas une torréfaction parfaite, elles sont plurielles : la méthode filtre pour être optimale nécessite l’usage d’un café assez clair, l’espresso d’une cuisson plus poussée. Aussi, cette diversité peut être plus précise encore selon les coutumes locales : prenez l’Italie patrie de l’espresso, les cafés sont au Nord assez peu cuits et au Sud bien plus. Cela tient encore au mode de préparation : à Naples l’espresso est servi très serré (ristretto) et à Milan beaucoup moins. Ce que les experts appellent la queue d’extraction amène l’amertume, cette amertume vient plus tardivement sur un café peu cuit (light roast).
Les faits sont têtus et tout progrès amène son lot de compromissions. Le fleurissement de Coffee Shop réclame une demande croissante de formation. Les jeunes entrepreneurs – et c’est tout à leur honneur - ont soif de savoir et de transmission. Les organismes de formations qui proposent une formation sur l’intégralité de la chaîne de production du café (bean to cup) sont inexistants en France : quelques torréfacteurs ont leurs écoles mais le gros des formations sont dispensés sur la préparation : exit la culture, la torréfaction … vous voulez monter une affaire de torréfaction en France en connaissance de cause, vous n’aurez d’autres choix que d’aller vous former à l’étranger plus précisément à Londres où vous trouverez la SCAE (Specialty Coffee Association of Europe ) émanation de la SCAA (Specialty Coffee Association of America). Evidemment, il existe encore quelques autres écoles en Europe, L’Università del caffè Illy à Trieste mais c’est encore l’école d’un torréfacteur dont la subjectivité ne sera pas à démontrer.
Formé par les Anglo-saxons, votre cuisson de référence pour le café sera peu poussée (light roast) qui s’explique principalement par le mode de préparation historiquement le plus développé Outre-Atlantique : le café filtre. Donc préparé en espresso, votre café sera assez acide – on vous expliquera que c’est le prix à payer pour la préservation des arômes, la vérité est ci avant -.
Aussi, s’il convient de saluer la SCAA, la SCAE et (et son groupement français très actif) dont la mission première est : « committed to coffee quality and excellence trough fostering information and education exchange », il est normal aussi d’en exposer les limites : l’appauvrissement de la culture européenne du café au profit d’une normalisation du produit selon des critères (imposés dans les Concours ) anglosaxons.
Le café en France va-t-il lui aussi être parkerisé comme le Bordelais l’a été au détriment de la diversité du goût et des particularismes locaux ?